Parité : un enjeu particulièrement important pour les cabinets d’audit

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publication du 25/01/2021

Eustache EBONDO WA MANDZILA

Malgré certains progrès, l’égalité entre femmes-hommes peine encore à se réaliser, et il est à craindre que la crise sanitaire vienne briser la dynamique engagée.

Dans ce contexte, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, s’est dit favorable à une proposition de loi, qui pourrait intervenir mi-mars, instaurant des quotas pour favoriser l’accession des femmes à des postes de direction dans les entreprises françaises.

Cette possible évolution législative pourrait avoir un impact positif dans le secteur de l’audit dont les commissaires aux comptes, selon le code de commerce, « certifient, en justifiant de leurs appréciations, que les comptes annuels sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat des opérations de l’exercice écoulé ainsi que de la situation financière et du patrimoine de la personne ou de l’entité à la fin de cet exercice ».

En effet, une présence significative des femmes dans la hiérarchie des cabinets aurait des effets bénéfiques sur la qualité des audits réalisés, sur la fiabilité des informations financières et extrafinancières publiées et sur les performances de l’entreprise et plus globalement sur la performance économique.

Des collaboratrices plus que des associées

Or, il est frappant de constater que les effectifs dans les grands cabinets d’audit restent majoritairement composés de femmes qui sont pour la plupart des collaboratrices plutôt que des associées et signataires.

Le tableau ci-dessous présente la répartition des femmes selon le niveau hiérarchique ainsi que le plus récent indice d’égalité professionnelle femmes-hommes des six plus grands cabinets d’audit internationaux.

Répartition en pourcentage des femmes selon le niveau hiérarchique et indice d’égalité professionnelle. Synthèse faite à partir des renseignements obtenus des sites Internet des cabinets et du ministère du Travail, de l’emploi et de l’insertion.

On observe la même tendance au sein des cabinets d’expertise comptable et de commissariat aux comptes de taille moyenne, même si l’accès des femmes aux postes de responsabilité est certes plus prononcé dans les petites structures que dans les grands cabinets.

La parité femmes-hommes, c’est-à-dire la diversité de genre dans les cabinets d’audit, n’est donc pas seulement un enjeu d’égalité voire de représentativité. il est aussi économique par son effet potentiel sur la qualité de l’audit et la satisfaction de la clientèle.

Une meilleure qualité de l’audit

A priori, la qualité des services d’audit ne devrait pas être affectée par des considérations de genre.

En effet, le déroulement d’une mission d’audit est encadré par des normes professionnelles, de travail ainsi que le code de déontologie qui en garantissent la qualité.

Toutefois, la recherche académique accrédite l’idée selon laquelle le genre de l’auditeur a des implications importantes sur le plan de l’appréciation du risque du client, la démarche d’audit et en conséquence la qualité de l’audit.

En effet, des études australiennes, belges, finlandaises et espagnoles notamment ont mis en évidence une relation entre le genre de l’associé signataire et la qualité de l’audit.

Les travaux de recherche finlandais montrent en outre que les entreprises auditées par des associées signataires ont des états financiers plus fiables et moins sujets à des manipulations comptables que celles dont l’audit est confié à un homme.

Selon une étude britannique, les associées signataires identifieraient davantage de points clés de l’audit et communiqueraient de façon plus complète et précise à leur sujet dans leurs rapports que leurs collègues masculins.

Enfin, l’étude menée dans le contexte belge fait ressortir que les associées en charge de la mission d’audit sont plus susceptibles que leurs collègues d’émettre une opinion assortie d’une réserve quant à leur continuité d’exploitation pour les entreprises en difficulté financière.

Tous ces exemples illustrent l’effet du genre de l’auditeur sur la qualité de l’audit.

Or, c’est la qualité d’un audit qui détermine la confiance accordée à l’information comptable par les acteurs des marchés financiers. Elle joue ainsi un rôle dans le financement de la croissance économique.

Il ressort également de ces études que les femmes responsables des missions d’audit sont plus averses au risque et plus éthiques que leurs collègues masculins.

Cette aversion au risque affecte ainsi leur appréciation de la probabilité de présence d’anomalies significatives dans les comptes de l’entreprise et les amène à adopter une démarche d’audit différente.

Indépendamment de leurs compétences techniques de leurs valeurs éthiques, les femmes sont particulièrement dotées d’une intelligence émotionnelle qui leur confère une écoute active et attentive parfois différente de celle des hommes.

Cette intelligence émotionnelle est actuellement recherchée par les audités.

Dans ce cadre, les travaux en psychologie ont montré que les femmes affichaient des habilités de communication, de coopération et de négociation supérieures à celles de leurs collègues masculins et qui contribuent à améliorer la qualité des audits financiers.

Une meilleure performance économique

Le lien entre la parité et la performance n’est pas qu’une question de bon sens. Une méta-analyse semble confirmer l’effet positif de la féminisation des instances de gouvernance sur la performance financière des entreprises, particulièrement dans les pays favorisant l’égalité des sexes.

Selon une autre étude américaine, la diversité de genre ou ethnique des collaborateurs impacte plusieurs indicateurs économiques parmi lesquels le chiffre d’affaires, le nombre de clients et la performance rendue possible via l’hétérogénéité des sexes et des identités culturelles.

Ainsi, la parité loin de léser l’entreprise, elle l’enrichit.

Selon une étude réalisée par l’OCDE, la plus forte participation des femmes au marché du travail dans les pays scandinaves aurait permis d’accroître le PIB par habitant annuel de 0,05 % à 0,4 %, soit cumulativement entre 3 % et 20 % de la croissance totale au cours des cinquante dernières années.

Compte tenu de l’enjeu social, économique et stratégique que représente la parité femmes-hommes dans les cabinets d’audit et face aux arguments contraires à la diversité de genre, des efforts pourraient être orientés vers la sensibilisation de la société sur l’impact économique de la parité, la poursuite du partage de pouvoirs au sein des cabinets et vers la mise en place d’une politique publique en faveur de la parité dans les cabinets d’audit.

Les éléments de cette politique pourraient notamment passer par l’instauration d’un congé post-naissance sans distinction de sexe et de statut.

En effet, les obligations familiales des femmes et les questions liées à la maternité constituent des obstacles à leur progression vers des postes de responsabilité.

Un système de congé post-naissance pour l’un des parents du nouveau-né sans distinction de sexe et de statut hiérarchique serait de nature à limiter les discriminations dont sont victimes certains parents.

Il permettrait de dégenrer les problématiques auxquelles font face les femmes, non seulement dans les cabinets mais dans l’ensemble des organisations publiques et privées.

Cet article a été co-écrit avec Walid Ben Amar, Professeur de comptabilité à l'Université d'Ottawa